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Bruno Devauchelle - - Malaise dans
la salle des profs : notes et/ou
compétences ?Un débat souterrain mine le
quotidien de nos établissements
scolaires. Que signifie l'usage répété
du terme "compétence" que l'on voit
proliférer depuis plusieurs années dans
les textes officiels ? Pourquoi vouloir
à tout prix remplacer les notes par des
compétences comme on a pu l'apercevoir
avec les TPE en lycée ou le B2i en
collège ? Certes le débat n'est pas
exacerbé, mais il est sous jacent aux
nombreux échanges qui ont lieu lors de
la mise en place de ces dispositifs,
comme il l'est encore (et pourtant c'est
plus ancien) dans les écoles primaires à
propos des livrets d'évaluation.
Au moment où l'informatisation des notes
est enfin réalisée presque partout, on se
demande si tous ces efforts consentis
pour entrer ces notes sur l'ordinateur
de l'établissement ne vont pas être
anéantis par cette nouvelle approche.
L'évaluation écartelée entre les notes
et les compétences
La question de l'évaluation et du
contrôle fait depuis longtemps débat en
éducation. La "docimologie" (joli nom !)
nous fait évidemment part de ses doutes
quant à la façon de mettre des notes.
Quelle que soit la discipline : mettez
la même copie à corriger à plusieurs
profs et vous aurez des notes
différentes.... Ce raccourci révèle une
question essentielle : que mesurent les
notes ? Depuis l'émergence de la
pédagogie par objectifs, on a commencé à
explorer d'autres territoires, en
particulier celui des capacités et des
compétences. Ces termes, qui font écrire
des livres sur l'évaluation sous toutes
ses formes, sont révélateurs d'une
question beaucoup plus importante : à
quoi correspond l'évaluation dans un
système d'enseignement ?
À voir comment nous sommes tous,
parents, élèves et enseignants,
arc-boutés sur les sacro-saintes notes,
on peut penser, comme me le disaient des
enseignants récemment, que, dans notre
société, tout le monde veut savoir où il
en est, par rapport à la norme, mais
surtout par rapport aux autres. Du coup
les notes prennent toute leur valeur...
Il suffit de voir la machine à produire
les moyennes et les graphiques de toutes
sortes pour s'en rendre compte.
L'expérience des livrets de compétences
en primaire ou encore en SEGPA, a permis
d'observer comment les différents acteurs
s'y prenaient avec cette nouvelle forme
d'évaluation. Et il faut bien
reconnaître que hormis certaines
équipes, la plupart ont rapidement
édulcoré l'outil voir même ont commencé
à transformer les listes de compétences
acquises en notes grâce à un système de
conversion très habile. La difficulté à
mettre en place le B2i dans les
établissements scolaires amène aussi à
se demander quelle part prend l'entrée
par les compétences...
Bref cela fait maintenant vingt ans au
moins que l'on voit apparaître des
référentiels de compétences et pourtant
les notes conservent plus que jamais
leur statut. Et désormais elles ont
leurs lettres de noblesse avec les
logiciels de notes....
L'intérêt des logiciels de notes...
Au cours des dix dernières années, le
déploiement des logiciels de notes dans
les établissements scolaires a été
spectaculaire. Même les plus réticents
s'y sont mis, non sans douleur... Les
débats des salles de profs ont été vifs,
et finalement tout le monde s'y met non
sans avoir pesté, accusé le monde entier
de tous les maux, pour finir par
l'impression de bulletins et le calcul
automatique des moyennes.
Il faut dire que dès les débuts de
l'informatique personnelle, les
programmeurs se sont déchaînés pour
créer des programmes de notes tous plus
performants (?) les uns que les autres.
Le commerce s'y est mis et y a vu un bon
marché porteur... Bref tout semble réuni
pour que le logiciel de note soit le nec
plus ultra. Image de modernité de
l'enseignant en plus, tout est parfait.
Heureusement les concepteurs ont gardé
un peu d'humanité en permettant de
mettre les appréciations "à la main", ou
tout au moins de ne pas avoir à choisir
l'appréciation dans une liste
pré-établie. Quoique, la lecture de
nombreux bulletins de notes laisse à
penser que faire une telle liste serait
facile... tant elles se répètent pour la
grande majorité d'entre elles.
Il y a même ces logiciels qui permettent
de faire des suivis "fins" des notes des
élèves et qui multiplient les
statistiques de toutes sortes,
permettant d'établir des graphiques dans
tous les sens. Ces outils donnent un
aspect plus "scientifique" aux
évaluations. Or la docimologie n'a
toujours pas détecté d'évolution
sensible dans la façon de mettre les
notes...
Maintenant les logiciels commencent à
prendre en compte les compétences et à
les juxtaposer avec les notes. Ainsi un
bulletin pourra contenir les deux
indications en parallèle... et rendre
plus explicites les résultats....
Et leurs risques
Malheureusement les logiciels de notes
posent deux problèmes essentiels. La
qualité formelle du bulletin n'est-elle
pas un écran à la difficulté
d’établir la notation ? La
formalisation informatique des résultats
scolaires n'est-elle pas un risque pour
l'élève qui se verrait ainsi mesuré
"sous toutes les coutures" ?
Beaucoup d'initiateurs de ces logiciels
dans les établissements scolaires
pensent que leur premier bénéfice est
d'obliger les enseignants à utiliser
l'ordinateur... et ainsi à dépasser leur
peur. Quant à la réflexion sur
l'évaluation, ce n'est pas toujours leur
problème... Du coup l'informatisation des
notes qui aurait pu être l'occasion de
réfléchir à l'évaluation se trouve
transformée en machine à soulager la
charge administrative des notes et à
sortir des statistiques beaucoup plus
précises sur les élèves...
En fait le premier risque de
l'informatisation des notes c'est
surtout de passer à côté de la vraie
question de savoir ce qu'elles
signifient. J'entends déjà nombre
d'entre nous jeter ce raisonnement à la
poubelle en disant que c'est mettre en
cause la profession enseignante que de
poser la question de la notation comme
évaluation. Malheureusement, si cette
question se pose c'est qu'il suffit
d'être autour des établissements
scolaires ou en salle de permanence
avant une heure de cours pour voir les
stratégies de contournement adoptées par
les élèves pour obtenir des notes
"bonnes" coûte que coûte... même parfois
en trichant... Cela n'a rien à voir avec
le logiciel pourra-t-on dire ! Et
pourtant cette importance accordée à ces
notes ne peut qu'impliquer une réflexion
sur l'évaluation. Voir sur un écran les
courbes de notation des enseignants en
cours d'année voire sur plusieurs années
est assez éloquent pour mériter qu'on s'y
arrête un moment.
L'irruption des compétences dans
l'établissement scolaire
Depuis plus de vingt ans dans
l'enseignement technologique et
professionnel et plus récemment dans
l'enseignement général les compétences
sont de plus en plus mises en avant : il
suffit de lire les supports pour
l'évaluation en CE2, 6e et 2de pour
rencontrer ce mot, qui se multiplie dans
les documents.
L'ouvrage collectif L'énigme de la
compétence en éducation (sous la
direction de Joaquim Dolz et Edmée
Ollagnier, De Boeck université Bruxelles
2002), est un bon état des lieux de la
question. Cependant, ouvrage de
chercheurs, il est probablement condamné
à rester dans les mains des initiés comme
nombre d'autres, alors que les questions
posées sont d'importance. Il montre en
effet que la notion est trop instable
pour pouvoir espérer bousculer la
sacro-sainte note, alors que dans le
monde professionnel, l'entreprise, elle
a pris toute sa place. Est-ce à penser
que la difficulté rencontrée dans
l'établissement scolaire face à cette
notion est liée à une question politique
? La question est posée par les travaux
de L.Tanguy et F.Ropé (Savoirs et
compétences, l'Harmattant 1994).
Autrement dit si cette question des
compétences est bien en train de faire
irruption à l'école, elle pose beaucoup
de problèmes et le flou de sa définition
la rend pour l'instant encore "exotique"
à nombre d'enseignants. Il suffit de
lire les nouveaux programmes, de voir
les débats qui s'y attachent pour
comprendre qu'elle est d'importance. Or
pendant ce temps là les notes continuent
d'être, la plupart du temps, la seule
unité visible de l'évaluation....
Certification et diplômation
Pour comprendre la difficulté de cette
évolution, il faut aller voir du côté
des examens et des diplômes. Il suffit
de regarder le baccalauréat ou même le
brevet des collèges pour mesurer
l'importance de la note. Ce qui est
particulièrement intéressant et que le
grand public ne comprend pas bien, c'est
que ces notes font, en amont de leur
attribution, l'objet de tractations
étranges : barèmes de notation,
pondérations statistiques et autres
manipulations négociées. Car pour servir
l'égalité des chances, il faut à chaque
fois négocier... En effet la docimologie
a eu au moins cet effet d'amener les
correcteurs, au moment de l'examen, à
tenter de se mettre d'accord pour
réduire les écarts entre eux. Parfois
l'administration l'impose (il suffit de
voir les pondérations académiques...)
afin de généraliser ce modèle dont elle
pressent bien les limites. Mais la note
reste la note.
Et pourtant dans le monde professionnel,
les listes de compétences se sont
multipliées, objets de débats, voire
d'affrontements, tant les risques de
dérive sont grands. Il y a loin de la
liste de compétences énoncées à la
compétence individuelle... dans le poste
correspondant. Mais là, la note n'a pas
le même rôle, quand elle existe. En fait
dans ce milieu la compétence est l'objet
de mesures d'adéquation entre l'individu
et le poste de travail. C'est un outil au
service soit de l'entreprise soit de
l'individu.
Si l'on va voir du côté du travail fait
par Michel Authier et Pierre Lévy sur
les arbres de connaissance (La
découverte, 1999), et aussi celui fait
par la société Trivium, on se rend
compte de ce que peut signifier aussi la
gestion informatisée des compétences et
des connaissances. Certains
établissements scolaires s'y sont
essayés et méritent qu'on aille y voir
de plus près (on trouvera entre autres
des informations sur
http://www.erasme.org/acne/).
Cependant
du côté de l'enseignement et des diplômes
on en est encore loin. On voit apparaître
en université le modèle des crédits... on
parle aussi de validation des acquis de
l'expérience... qu'en est-il en milieu
scolaire ?
Le B2i un bon exemple d'embarras
La mise en place du B2i révèle qu'autour
de ce "référentiel de compétences" les
équipes sont bien embarrassées. Et
pourtant les enseignants, en particulier
ceux de technologie et documentation, y
trouvent des raisons d'espérer. Les
débats dans les groupes qui tentent de
mettre en place ce B2i sont bien
révélateurs du questionnement qui
émerge. Le ministère lui-même, en
contrôlant les publications ayant le
label B2i, exprime bien que la question
est essentielle : ne faisons pas du B2i
une nouvelle note sur le carnet... La
tentative est d'ailleurs la même pour
les IDD et les TPE, mais à chaque fois,
on peut observer que, finalement, la
note reprend ses droits.
Étrange phénomène que cette évolution
qui apparaît au grand jour dans le texte
officiel du B2i, et qui se trouve mise à
mal dans son transfert sur le terrain.
L'entrée par les compétences oblige à
mettre en place une organisation
nouvelle pour mesurer. Avec le devoir
traditionnel, le système était bien
rodé... il faut inventer... et pour y
parvenir, il faut mener une réflexion
approfondie qui est actuellement en
cours.
Et si l'on supprimait les logiciels de
note...
Ce propos polémique se termine par une
provocation : "supprimons les logiciels
de notes". C'est dans les cuisines et
dans les dépendances que se passe la
"vrai vie", c'est derrière les notes et
les compétences que se trouve le débat
essentiel. L'usage des logiciels de
notes, loin de clarifier le débat, ne
fait que l'enfouir sous une apparence
plus agréable, plus acceptable. Or la
même réalité est issue de ces notes, de
ces appréciations. Et pourtant
"économiquement" parlant, la note
traditionnelle est finalement la plus
facile à mettre en place et à gérer.
L'entrée par les compétences en
évaluation n'est pas simple. Les
logiciels B2i, en tentant de mécaniser
l'évaluation s'y sont heurtés. Les
équipes qui mettent en place les TPE,
les IDD, les livrets d'évaluation
primaire ou le B2i sont affrontées à la
difficulté de mettre en place quelque
chose dont elles sentent la pertinence
mais dont elles savent qu'elle n'est pas
encore comprise en regard de ce
qu'expriment les notes. Comme si une
note disait plus de l'élève qu'une série
de compétences attestées. Que sais-je de
ce que sait faire mon enfant si je ne
connais de lui qu'une note réduite à une
moyenne qui, de plus, lui ouvre la porte
à la poursuite de ses études ?
Bruno Devauchelle
Cepec