Édition du 06-06-2004 -
Bruno
Devauchelle - - Le B2i est-il soluble
dans l'institution scolaire ?
Le changement en éducation : le B2i
comme étude de cas
On reproche souvent aux ministères qui
se succèdent de défaire ce que les
précédents ont construit. Il est
pourtant un cas étonnant et récent qui
n'a pas subi ce sort, bien au contraire
: le B2i. D'une simple note de service
parue en 2000, ce dispositif nouveau a
non seulement été maintenu depuis sa
création, mais la logique qui prévaut
dans cette "invention de l'institution"
se trouve même renforcée progressivement
avec la mise en place du C2i en
université pour le niveau 1 et dans les
IUFM pour le niveau 2.
Malgré cette constance, on peut
légitimement tenter de répondre à la
question que me posait récemment Jean
François Cerisier (Maître de Conférence,
Université de Poitiers) : le B2i est-il
soluble dans l'institution ? En effet
les observations de terrain montrent que
si en primaire, la mise en place se fait
régulièrement mais de manière très
inégale, en collège les choses sont
beaucoup plus difficiles. De plus le B2i
niveau 3 pour les lycées qui était en
expérimentation depuis la rentrée
scolaire 2002 n'est toujours pas annoncé
et les résultats de l'expérimentation non
connus à ce jour.
L'observation de ce dispositif que je
mène depuis sa création est un bon
terrain pour proposer une lecture des
problèmes de changement dans le monde
scolaire et en éducation. Inventé par un
petit groupe "clandestin" motivé et
militant, le B2i qui connaît des
fortunes diverses permet une lecture
particulièrement riche des difficultés
que rencontre l'institution centrale à
faire valoir ses arguments dans les
établissements scolaires et auprès des
enseignants.
Les origines du B2i
Il faut revenir au moins en 1997 pour
comprendre d'où vient le B2i. En effet,
le développement des TIC en éducation a
connu au cours des trente dernières
années des fortunes diverses en
particulier autour de la question d'un
enseignement disciplinaire de
l'informatique dans l'enseignement
scolaire.
Au croisement de deux logiques, celle de
l'enseignement primaire et celle de
l'enseignement de la technologie, le B2i
mélange aussi bien des problématiques
d'apprentissages que des problématiques
techniciennes. Les "inventeurs" du B2i
sont principalement issus de ces deux
univers. A cela s'ajoute la volonté
politique de contrer l'arrivée de
produits issus du monde industriel
(PCIE, Permis de Conduire Informatique
Européen), ainsi que, dans un autre
champ, la volonté, toute aussi
politique, de faire "bouger" les
enseignants et de leur forcer un peu la
main dans l'intégration des TIC dans
leur pratique.
C'est ainsi qu'au sein d'une
institution, que nous pensons souvent
sage, raisonnable, un groupe a pu
travailler en dehors des règles établies
de construction des programmes. Le B2i
est arrivé surprenant même le ministre
qui l'appelait même "B vingt et un" lors
de sa création ! Surprise, tel est le mot
qui vient à l'esprit de tous ceux qui
découvrent ce texte. Et pourtant
l'intention avait été annoncée avec le
PAGSI, puis avec la création de la mise
à niveau en classe de seconde en lieu et
place de l'option.
L'appropriation de l'invention au sein
de l'institution scolaire
A partir du moment où un texte officiel
est publié, et souvent même avant, il
est l'objet d'un grand nombre de
réactions (regardons ce qui s'est passé
pour les TPE).Or pour le B2i, les
réactions ont été très rares. Un seul
syndicat avait réagi un mois avant la
publication, très peu d'articles dans la
presse... spécialisée ou non. Quant aux
éditeurs, alliés traditionnels et
intéressés, ils ont très peu emboîté le
pas de l'institution, sans doute
embarrassés par le cadre posé autour de
ce texte qui donnait lieu à un dépôt de
marque à l'institut de la propriété
industrielle, le ministère voulant
contrôler l'emploi du mot par les
commerçants.
Si la publication du texte a pu
surprendre, il est une chose qui est peu
connue et qui est étonnante : c'est la
résistance au sein même de
l'institution, en particulier des
inspections disciplinaires et de
nombreux cadres de l'institution, peu
attirés par cet "objet étrange" surgi
dans un paysage bien formaté.
L'inspection générale s'est émue
publiquement de cette résistance, mais
rien n'y a fait. De la volonté de
diffuser un dispositif à sa mise en
place réelle, il y a de nombreux
obstacles à franchir et celui-là était
le premier et le plus inattendu.
Du coté des équipes éducatives et des
établissements il serait très facile
d'employer l'argument de la
"traditionnelle résistance au
changement". La réalité est bien plus
complexe. Mais pour la découvrir encore
faut-il y regarder de plus près ! En
réalité, il semble que le problème
principal soit celui de la possibilité
pour chacun de "traduire" le texte dans
le contexte de son établissement et de
son enseignement ou de son activité
professionnelle. L'observation montre
que c'est ce mécanisme de traduction,
très mal engagé du fait de la non
concertation en amont de la publication
du texte, qui ne s'opère que
progressivement et selon un processus
lent. En réalité, le B2i accumule les
inconvénients : il pose la question de
la maîtrise technique des enseignants,
il propose un cadre d'évaluation
dérangeant par rapport au modalités
habituelles, il met en évidence, dans la
classe l'aisance (réelle ou feinte) des
élèves face à des machines et plus
généralement face à une civilisation de
l'information et de la communication qui
est désormais bien plus la leur que celle
de leurs enseignants, même s'ils s'en
défendent.
Dès lors, pour passer d'un texte
injonctif à des pratiques ordinaires il
y avait un paradoxe presque
insurmontable. Et pourtant la
persistance de ce dispositif et son
renforcement semblent indiquer que le
processus en cours et sinon
irréversible, du moins conforté. Rentrer
dans le détail de ce processus
d'appropriation demanderait ici un trop
long développement. En tout cas les
débats récurrents sur le B2i semblent
indiquer qu'il ne laisse pas
indifférent, et l'enseignement primaire
montre, par la multiplication des
initiatives, que les enseignants se
l'approprient progressivement, mais
qu'il faut être patient.
Une logique globale d'intégration des
TIC
L'arrivée du C2i montre qu'une logique
globale se met en place. Certains disent
que, puisqu’on n’a pas réussi en passant
par les élèves, on va essayer de passer
par les enseignants débutants. D'autres
disent, au contraire que se construit là
un édifice cohérent qui vise à remettre
enfin les choses à l'endroit en formant,
enfin, les enseignants.
Il est encore trop tôt pour apprécier ce
que va devenir ce mouvement. La mise en
place du B2i à l'école et au collège a
eu le mérite de donner une légitimité à
tous les personnels qui, dans les
rectorats et inspections, comme dans les
établissements, oeuvraient pour
l'intégration des TIC dans les
enseignements. Même si une fois paré de
cette légitimité, ils ont parfois tenté
de détourner le B2i dans le sens qui
allait leur servir, on constate qu'il a
posé un cadre d'action qui permet de
passer d'une incantation à une
injonction.
Reposant sur l'usage des technologies et
non sur la connaissance et la maîtrise de
celles-ci, cette logique s'appuie sur une
évolution culturelle globale :
l'environnement familier et
professionnel est peuplé de technologies
multiples, il convient de fournir dans le
cours de la scolarité les repères
scolaires pour intégrer cette culture.
Pourtant cette logique se heurte encore
à la question de la maîtrise technique
préalable à l'usage. C'est pourquoi la
lecture attentive des textes laisse
apparaître, depuis de nombreuses années,
un écart entre la nécessité de technique
et l'impact de l'usage. En effet, c'est
l'usage prescrit et réel qui est
révélateur de l'évolution culturelle et
pas seulement l'objet technique qui en
lui même est très malléable (en
particulier pour l'ordinateur).
En mettant de la cohérence, ou au moins
en tentant de le faire, l'institution
scolaire est logique avec sa mission.
Elle a été longtemps précurseur des
utilisations familiales et
accompagnatrice des pratiques
professionnels. Elle se trouve désormais
confrontée à une évolution du contexte
qui l'amène à développer une nouvelle
politique qui même si elle refuse de le
dire, est le signe d'une inquiétude plus
générale à propos de la place prise par
l'information et la communication dans
la vie de chacun de nous. Il y a
d'ailleurs à craindre qu'en privilégiant
malgré tout une approche techniciste
comme on peut le lire dans les item du
B2i, l'institution ne passe à coté de ce
qui constitue probablement le réel
problème : la culture d'information et
de communication envahissant le
quotidien des jeunes et des adultes.
Le B2i en questions
On peut, à propos du B2i se poser
quelques questions : n'est-il pas le
sous marin des marchands d'informatique
? Est-il la bonne réponse à une
évolution culturelle ? Est- il
suffisamment pertinent dans la maîtrise
technique ?...
Il est toujours possible de mettre en
accusation un texte s'il n'y avait aussi
ceux auxquels il s'adresse qui, eux-
mêmes, tentent d'en faire quelque chose.
C'est dans l'observation de ces pratiques
que ces questions me semblent pouvoir
trouver quelques éléments de réponse.
D'autant plus que ces pratiques ne
s'arrêtent pas au seul B2i, mais
articulent celui-ci avec d'autres
activités souvent considérées au
quotidien comme plus importantes.
Les nouveaux programmes du primaire ont
intégré le B2i, mais ils ont aussi amené
les enseignants à un travail
d'intégration de l'ensemble de ces
directives qui a pu sembler lourd à
certains. En collège, la collision avec
les itinéraires de découverte n'a pas
arrangé la mobilisation des équipes. On
le voit, le B2i n'est pas forcément une
priorité !
L'intégration du B2i se fait au rythme
d'une sorte d'acculturation dont on
observe chaque jour le processus. Le
signe le plus tangible de ce mouvement
est la tentative de passage d'une
pratique personnelle à une pratique
professionnelle intégrée. Mais cette
acculturation ne porte pas seulement sur
la technique, mais aussi sur
l'apprentissage. Car le B2i c'est avant
tout penser que les TIC sont avant tout
affaire d'apprentissage avant d'être
affaire d'enseignement, et c'est là que
souvent se révèlent les difficultés...
La scolarisation des savoirs : entre
appropriation et apprentissage
En tentant de scolariser des usages, le
B2i impose un cadre, une norme à des
pratiques sociales très diversement
stabilisées. La sociologie de l'usage
nous montre que le processus
d'appropriation est central dans la
relation que les individus entretiennent
avec les objets techniques. Construction
de sens, développement de savoirs faire,
acquisition de savoir sont des effets de
ce processus qui s'apparente, dans son
résultat à ce que tente de faire le
système scolaire. Et pourtant le système
scolaire tente de réguler, de stabiliser
cette appropriation au sein
d'apprentissages (acquisitions)
scolaires. Cette tentative peut être lue
de plusieurs manières : on veut encadrer
les esprits, on veut éviter les
inégalités, on veut structurer les
usages dans des apprentissages
rationnels, on veut reconnaître et
articuler ce que l'on fait à l'école et
en dehors... Il est très difficile de
préciser ce qui est en jeu, car il y a
interférence entre tous ces aspects,
fort probablement.
Il faut reconnaître que fournir un cadre
à l'action est toujours ambigu : soit le
cadre devient une prison dont on ne peut
sortit, soit le cadre est une base pour
progresser et aller plus loin. Seul
l'observation de l'évolution des usages
permettra de dire la place que prendra
le B2i dans ce processus. il faut
craindre cependant que , s'il rentre
dans les examens, comme le souhaite
l'inspection générale dans son dernier
rapport, il ne devienne un "machin
scolaire" de plus, risquant de
ringardiser une fois de plus le système
scolaire.
Bruno Devauchelle
CEPEC